Ma montre à moi que c'est moi qui l'ai faite (3e partie)

par Origami - le 10 juin 2005

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QUI VEUT LA PEAU DE ROGER RABOT ?

A l'instar de la montre de poche, (j'aime beaucoup cette expression, et j'essaye de la placer le plus souvent possible), il faut maintenant que je diminue la hauteur de l'axe de l'aiguille des minutes. Mais cette fois, je vais faire les choses proprement. Plus question de ruban adhésif ! La solution : un Post-It !

 C'est quand même beaucoup mieux, non ?

 Et l'outil qui va bien ! Pareil que la meuleuse d'angle d'Émile, en plus petit.

 Sinon, le reste, c'est pareil, et cela se passe de commentaire :

LE CADRAN

 Je peux donc me consacrer au cadran. J'utilise Corel Draw pour cela. Pour ma première montre, il ressemblait à ça :

 Je voulais changer un peu, et après quelques essais, voilà le résultat :

 Qu'en pensez-vous ? Si vous voulez, vous pouvez essayer de me proposer d'autres cadrans.

 J'imprime donc ce cadran sur du papier 200 grammes, pour qu'il soit assez rigide. Car sur la première montre, je l'avais imprimé sur du papier 80 grammes (le classique qu'on trouve par ramette de 500 dans tous les bureaux du monde).

 J'avais aussi acheté du papier photo brillant, mais j'ai peur de bousiller l'imprimante laser du boulot. Deniz m'a proposé de le faire imprimer chez son photographe professionnel. Je vais très probablement accepter sa proposition.

 Comme il est difficile de savoir avec certitude quel diamètre utiliser pour le cadran, je dois en imprimer 6 ou 7, de taille décroissante (ou croissante, selon le point de vue d'où l'on se place). Et a tout hasard, j'imprime plusieurs séries sur la même feuille :

 Je découpe ensuite le cadran qui me semble aller le mieux au niveau diamètre. Si ça ne va pas, je prends le suivant.

 Pour installer le cadran, j'avais donc pensé à le coller sur l'aiguille des heures. Mais les résultats se sont révélés catastrophiques. D'abord, je me suis trompé d'aiguille ! Ne me demandez pas comment je me suis débrouillé, mais quand j'ai essayé de remettre l'aiguille sur son axe, je me suis rendu compte que ce n'était pas du tout le bon diamètre.

 Ensuite, j'ai recollé le cadran sur l'aiguille des heures (la bonne, cette fois ci). Mais là non plus, ça n'allait pas. En effet, la surface de contact n'est pas assez grande, et en plus, le cadran risque de pencher d'un coté.

Il fallait donc trouver autre chose.

 Bon, voyons le cahier des charges :

 - Plastique dur, mais pas trop afin de pouvoir se couper au cutter

 - épaisseur environ 1.5 mm

 - de forme ronde, diamètre minimum 1.5 cm

 Voyons, je cherche sur mon bureau (c'est comme aux Galeries Lafayette : on trouve tout ce qu'on veut, faut juste passer 3 heures à chercher).

 Et je trouve ... un jeu pour enfants donné par Air France à mon fiston lors de notre dernier séjour en Corse.

 Je vérifie l'épaisseur :

 OK. Ca correspond exactement à ce que je cherchais.

 Donc, je commence à découper un cercle.

 

 Puis, je perce avec ma mini-perceuse un trou de 1.5 mm de diamètre, que j'élargis doucement jusqu'à ce qu'il puisse entrer en forçant sur l'axe des heures. Mon premier essai est raté, car le trou est trop grand. Je recommence donc, en prenant soin de ne pas trop agrandir le trou.

 Au fait, pour ceux qui pensent que je rigole quand je raconte que je travaille dans ma cuisine, voici la preuve :

 Voilà, j'ai maintenant le support idéal pour le cadran.

 Au fait, juste une petite pause. Je viens de vérifier la date à laquelle Bruno Brazil m'a envoyé l'email : 26 Janvier ! Pffffuuuuu ! Ca fait donc 4 mois que je suis sur ce projet. Ce n'est pas que je sois lent, mais pour pouvoir travailler tranquillement à la maison, il faut que mon fils ne soit pas à coté, vu qu'il y a quand même pas mal d'outils qui sont dangereux pour nos chères petites têtes blondes (brucelles, pinces, tournevis, ...), et que les pièces sont tellement petites qu'il vaut mieux éviter qu'il ne touche à tout. Et allez demander à un enfant de ne pas toucher aux jouets de son papa chéri.

 De toute façon, je ne suis pas pressé. C'est ça l'avantage immense d'un passe-temps par rapport à un métier.

 Et un autre truc qui prend du temps, c'est d'écrire ce message !

 Ah oui, un truc rigolo. Je montre à ma femme le nouveau cadran, et ce que ça va donner. Et que me dit-elle ?

 "Oui, mais je préférais l'ancien, avec le guillochage" (oui, elle sait ce que c'est, car elle m'a bien aidé pour le concours Daniel Roth).

 Ah, les femmes !

 Bon, j'en reviens à mon cadran.

 Je colle donc le cadran sur le disque-support. Ce n'est pas super plat, mais ça devrait aller.

 Pour l'instant, tout baigne. Je vais pouvoir préparer le repère sur le verre.

LE REPERE SUR LE VERRE

 Sur le premier prototype, j'avais placé un repère sur le boîtier :

 Sur cette montre, l'intérieur du boîtier est différent, et il n'est pas possible de faire pareil. J'avais donc pensé à mettre un repère fin sur l'intérieur du verre. Je voulais creuser un sillon très fin, et le remplir d'encre rouge. Le problème, c'est qu'avec les outils que j'ai, c'est impossible. Ou en tout cas, la probabilité de bousiller le verre était trop importante pour tenter l'expérience. Autant je pouvais me permettre de foirer le mouvement, car au pire des cas, je pouvais toujours reprendre un des 3 mouvements de poche anti-horaire, autant je me voyais mal racheter une autre montre-bracelet (même si elle n'est pas très chère).

 Il fallait donc trouver une solution de rechange. Le plus simple était de prendre un autocollant, et découper un très fin rectangle. Ce que j'ai fais. Au début, je voulais un repère rouge. Mais je n'en ai pas trouvé sur mon bureau, et en y réfléchissant, je me suis dit qu'un repère blanc serait beaucoup moins visible , ce qui renforcerait l'impression d'une montre sans aiguille.

 Je découpe donc le fin rectangle, que je place avec des pinces le mieux possible.

 Je place ensuite en dessous un cadran, que je surélève avec quelques pièces de monnaie, pour simuler la hauteur du mouvement, afin de rapprocher le cadran du verre :

 Bon, en fait, je me rends compte que le repère est un peu trop gros. Pourtant, quand je l'ai découpé, il paraissait tout petit.

 Et donc, en vue globale, ça donne ça :

 

LE REMONTAGE

 Tout est prêt ! Le mouvement tourne, le cadran est en place. Je peux donc remettre le mouvement dans le boîtier. J'ai une petite appréhension, car je n'avais pas réussit à l'extraire. Est-ce que ça allait être la même galère ?

 Ben non ! Il faut juste enfoncer un peu fort.

 Pour commencer, je laisse le mouvement bloqué sur le porte-mouvement. Ca me permet de bien le placer.

 Note : en fait, au bout de quelques secondes, on vire ce truc, car au lieu d'aider, c'est un vrai emmerdement.

 Il faut ensuite vérifier que le trou pour la tige de remontoir est bien en face du trou du boîtier. Le cas échéant, faire pivoter le mouvement en poussant latéralement. Jusque là, tout va bien.

 J'enfonce donc la tige de remontoir. Tout va bien. Je vérifie que la mise à l'heure et le remontage marchent. RRHHHAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA !

 PUTAIN DE BORDEL DE CHIERIE DE COU1LLE ! La bascule a encore due sauter !

 PFFFFFFFFFFFFF ! Bon, maintenant, faut sortir le mouvement. Je ne peux quand même pas retourner voir l'horloger. Faut que je trouve tout seul comment il faut faire. Comme j'ai rentré le mouvement en forçant un peu, il doit faloir le sortir en forçant un peu aussi. Le plus difficile, c'est de trouver quoi accrocher pour tirer. Ce que j'ai trouvé de mieux, c'est près du barillet. Je fais délicatement levier contre le rebord du boîtier, et .... OUI, il sort !

 Bon, ensuite, il faut que je démonte toute la minuterie, que je replace la bascule (avec la tige de remontoir enfoncée), puis que je vérifie en jouant plusieurs fois avec la bascule. Ce n'est quand même pas très fiable. J'ai l'impression que au lieu d'être bien coincée dans la rainure du pignon coulant, elle est à moitiée dehors, et qu'au moindre choc, ou à la moindre sollicitation un peu forte, la bascule va sauter.

 Je décide donc de limer très légèrement la partie de la bascule qui se met dans la rainure. Juste quelques dixième de millimètres. Je ne suis pas sûr que ça change grand chose, mais bon ...

 Je remonte donc la minuterie pour la dixième fois au moins. Les tests semblent bons. Je vais donc réemboîter le mouvement.

WHERE IS WALDO ?

 Le mouvement est bloqué dans le boîtier par 2 petites pièces qui viennent s'appuyer contre l'intérieur du boîtier.

 Le mouvement étant en place, avec la tige de remontoir enfoncé, je peux enfin bloquer le mouvement. Je prends délicatement avec la brucelle la petite pièce, et je procède à un mouvement lent pour venir la placer au bon endroit.

 Mais tel le Boeing 747 faisant tomber de 7000 pieds le bloc de merde congelé, la pièce décide de jouer au Base-Jump au dessus du mouvement. PLOC ! Le balancier s'arrête imédiatement.

 RRHHHAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA !

 SAL0PERIE DE BORDEL A QUEUE ! (notez le renouvellement des jurons. J'en ai tout un stock. Mon préféré, c'est "Putentrailles", trouvé dans une bande-dessinée de ma jeunesse, Valérian, de mémoire)

 Vu que le balancier s'est arrêté net, la pièce doit être par là. J'espère qu'elle n'a pas abîmé le spiral fin !

 Bon, je regarde bien, mais je ne vois rien. Et vous, est-ce que vous voyez où est tombée la pièce. Ne trichez pas en regardant la photo plus bas.

 Pffffffffff ! Va encore faloir que je démonte tout !

 Donc, les étapes sont :

 - enlever la tige de remontoir

 - extraire le mouvement

 - enlever le pont du balancier

 - regarder où est tombée la pièce

 - la retirer

 - tout remonter

 - vérifier que tout fonctionne, et que la bascule n'a pas une fois de plus merdé.

 [la photo qui montre où est tombée la pièce est plus bas]

 ...

 ...

 ...

...

 ....

 ......

 ........

 ............

 Vous l'aviez trouvé ? Si oui, vous êtes forts parce que moi, non.

LA FIN EST PROCHE (Appocalypse 13:25)

 Bon, si vous êtes arrivé jusqu'ici, c'est que vous êtes très courageux, ou que votre vie privée doit être très ennuyeuse !

 Je vais donc accélerer un peu. Je remonte le tout.

Je vérifie que ça marche, et TADAAAAAAAAAAA !

 AHHHHH ! Quel plaisir d'avoir à mon poignet cette montre. Cela faisait environ 5 ans que je voulais l'avoir.

 Et le plaisir est 100 fois plus intense que si je l'avais juste achetée dans un magasin, comme une vulgaire Rolex.

 C'est MA montre ! Je l'ai imaginée, et je l'ai construite (enfin, en partie).

 

LA GUEULE DE BOIS DU LUNDI MATIN

 Les dernières étapes de la construction de cette montre ont été réalisées le Dimanche. Ma femme et mon gamin m'ont très gentiment foutu une paix républicaine en allant se promener toute la journée.

 Le Dimanche soir, j'avais donc terminé ! Après plus de 4 mois !

 Et le Lundi matin, ce fut la gueule de bois ! En effet, au moment de remonter la montre, je me rends compte que quelque chose ne va pas. La couronne se dévisse ! AAARRRGGGGHHH ! Qu'est-ce que c'est que cette mauvaise blague ?

 En fait, quand j'avais listé les pièces qui entrent en jeu dans l'inversion du mouvement, je ne pensais pas qu'une pièce aussi simple qe la couronne pouvait avoir une influence. Et bien j'avais tort !

 En fait, le sens du filetage de la couronne est fait pour une montre normale, où le sens qui demande le plus de force, c'est-à-dire lors du remontage, correspond à visser.

 Or, sur ma nouvelle montre, quand on remonte la montre, on est dans le sens du devissage ! Il suffit que la force nécessaire pour remonter le barillet soit supérieure à la friction du filletage, pour que la couronne se dévisse.

 Je demande donc de l'aide sur le merveilleux forum de Horlogerie-Suisse

 Le Wembestre me répond qu'il existe de la colle a filet. Super ! Mais bon, ça n'a pas l'air facile à trouver. Je lui demande donc si de la Super-Glue pourrait faire l'affaire. Sa réponse positive entraîne l'achat d'un tube de cette colle magique.

 Et effectivement, ça marche ! Je peux enfin remonter ma montre.

VIVRE AVEC LE REGARD DES ZOTRES

 Cela fait donc une semaine que je porte ma montre. Au boulot, où ils savent que je suis un peu fou, ils ont bien rigolé.

 Mais le plus amusant, c'est de voir les gens dans le métro jeter un coup d'oeil rapide à ma montre, et au bout de quelques dixièmes de secondes, de voir leur expression changer. On passe de "Bon, il est quelle heure ?" à "Non mais attends, y'a un truc qui cloche avec sa montre ! Elles sont OU, les aiguilles ?"

 Aujourd'hui, un gardien de parc qui visiblement se faisait chier et voulait discuter, une fois qu'il a vu ma montre, m'a demandé : "Elle est cassée ?".

 Je crois que c'est la montre que les gens remarquent le plus. Faut dire aussi qu'elle fait 43 mm de diamètre. Donc, le cadran est vraiment grand (35 mm). On a fait plus discret !

 Je suis aussi retourné voir l'horloger qui m'avait aidé à extraire le mouvement, car je lui avais expliqué ce que je comptais en faire. Il a été très surpris, et a beaucoup aimé la montre. Il en a même profité pour changer la boucle du bracelet en Autruche, qui était en plaqué, pour la remplacer par une boucle en acier (car entre temps, j'avais remplacé le bracelet d'origine, avec la boucle déployante qui m'avait niqué mon poignet, par un bracelet de l'oncle Néo)

 BON SANG ! J'espère que c'était du plaqué !

 

CONCLUSIONS

 Je dois dire que je me suis beaucoup amusé ! Cette expérience a été très agréable, même si j'ai parfois dû me battre avec ces putains de mouvements.

 J'ai appris beaucoup de choses sur les montres, sur les mouvements. C'est impressionant tout ce que l'on peut découvrir sur un mouvement, le plus basique soit-il.

 Mon admiration pour les horlogers a encore grandie. Surtout pour les horlogers des siècles derniers, qui n'avaient pas la chance d'avoir les outils modernes. Les trèsors d'ingénosité, d'imagination, d'habileté qu'il a dû leur falloir pour arriver à concevoir, fabriquer et faire marcher des merveilles horlogères.

 Je n'ai pas la prétention de connaître l'horlogerie. J'essaye juste de la comprendre.

 J'espère vous avoir fait partagé de goût au travers de ce texte.

 J'espère aussi vous avoir donné envie de démonter une montre. Il suffit d'avoir quelques outils de base, un mouvement acheté quelques euros aux Puces, et surtout, un livre qui explique comment faire, et comment ça marche.

 Et pourquoi pas, fabriquer votre propre montre !

 

BON, ET MAINTENANT ?

 Et bien je vais prendre des vacances bien méritées. Je vais reposer mon cerveau en regardant La Ferme 2 sur TF1.

 En fait, non, pas vraiment. J'ai déjà une idée. Ca a rapport avec ça :

 Bon, je vous laisse, votre femme ou votre patron commencent à trouver que ça fait un peu trop longtemps que vous lisez ce texte.

 Origami

Encore un énorme MERCI à Bruno Brazil, qui a su trouver le mouvement que je cherchais depuis des années. Bruno, je cherche aussi une jolie suédoise de 19 ans, célibataire, qui habite à Paris. On ne sait jamais, tu serais capable de me trouver ça.

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