L'Index-Mobile de Dubey et Schaldenbrand
Joël Pynson - Toulouse
C'est en recherchant un chronographe à rattrapante plus simple et plus économique que Georges Dubey a mis au point vers 1943 l'Index-Mobile et son esthétique si particulière. Fait remarquable, des mouvements ainsi équipés ont été produits pendant plus de 50 ans.
Dans un coin de poulailler
Georges DUBEY, inventeur de l'Index-Mobile, enseignant au Technicium de La-Chaux-de-Fonds dans les années 50.
Grâce à ses deux aiguilles superposées, le chronographe à rattrapante permet la mesure des temps intermédiaires en stoppant l'un des index pendant que l'autre poursuit sa course. Une pression supplémentaire sur l'un des poussoirs du chronographe permet à l'aiguille stoppée de rattraper la deuxième, d'où le nom de "rattrapante".
La rattrapante, dont l'invention est attribuée à l'horloger parisien Joseph Winnerl vers 1870, est une complication délicate, particulièrement sur les mouvements de taille modeste destinés aux montres bracelets. Son intérêt est pourtant évident, en particulier pour les chronométrages sportifs où la nécessité de mesure d'un temps intermédiaire ne doit pas empêcher celle du temps final. Dans les années 40 le chronométrage industriel faisait lui aussi appel aux temps intermédiaires pour rationaliser les temps et les cadences de production. Il existait donc bien une demande mais elle était largement freinée par le coût élevé des chronographes à rattrapante que l'on trouvait alors sous les marques Breitling, Butex, Record ou, à fortiori, Patek Philippe. La deuxième guerre mondiale allait d'autre part pratiquement ruiner l'Europe, et c'est dans ce contexte que Georges Dubey, maître horloger à l'école d'horlogerie de la Chaux-de-Fonds décida de travailler sur une version économique de chronographe à rattrapante.
L'idée de Dubey fut de concevoir un mécanisme additionnel capable de s'adapter sur les mouvements de chronographe existant à l'époque, type Landeron, Vénus, ou Valjoux. Les premiers essais furent réalisés dans le poulailler de la ferme paternelle à Estavayer-Le-Lac et en 1943 Dubey réalisa un mouvement prototype complet au Technicium de La-Chaux-de-Fonds. Entre 1943 et 1946, les premiers mouvements, non commercialisés, avaient le ressort spiral servant à la rattrapante placé sous le cadran, donc non visible. Après que le brevet d'invention fut déposé en Suisse, le 12 mars 1946 sous le n° 253.051, il ne fut plus produit que des montres avec le ressort spiral au dessus du cadran. Le brevet initial fut complété ensuite, en 1949 et 1952, par deux brevets complémentaires.
Schémas extraits du brevet français déposé le 6
Mars 1947 à Paris.
L'Index-Mobile peut s'adapter
à différents calibres de chronographe. Les schémas
explicitent le principe de fonctionnement : la roue de centre
est percée dans sa longueur et donne place à
la tige de centre qui porte l'aiguille index.
Sous la minute
Neuf pièces supplémentaires suffisent pour équiper d'un Index-Mobile un calibre Venus 188 et treize sont nécessaires pour un calibre Valjoux ou Landeron 48. L'adjonction de ces pièces supplémentaires n'augmente la hauteur du mouvement que de 1,5 mm. Le principe de fonctionnement est simple : la roue de centre, située très précisément au centre du mouvement de chronographe, est percée sur toute sa longueur pour donner place à une tige de centre qui porte côté cadran l'aiguille index munie de son ressort spiral connecté à la trotteuse du chronographe. Côté mouvement une languette dite ressort d'appui peut se plaquer sur la tête de la tige de centre, via l'action d'un poussoir et d'une languette intermédiaire dite ressort de freinage, bloquant ainsi l'aiguille index.
Lorsque le chronographe a été enclenché, il suffit pour mesurer un temps intermédiaire d'agir à nouveau sur le poussoir, ce qui a pour effet d'immobiliser l'index. Celui-ci reste bloqué tant que l'action sur le poussoir est maintenue. En relâchant cette action l'aiguille index rattrape l'aiguille de chronographe. Le ressort spiral de l'Index-Mobile étant extrêmement fin, il ne modifie pratiquement pas la marche du chronographe malgré l'effet légèrement freinant que l'on pourrait craindre. Par contre, à la différence des chronographes à rattrapante classiques, on ne peut pas bloquer l'aiguille index au delà de 58 secondes. À ce moment là en effet, l'aiguille du chronographe ayant fait un tour complet vient buter sur l'aiguille index et l'ensemble du mouvement est stoppé. On peut considérer néanmoins que 58 secondes représentent un temps suffisant pour mesurer un temps intermédiaire...
C'est principalement sur le calibre Landeron 48 qu'a été monté l'Index-Mobile, pratiquement sans modification jusqu'à nos jours, si ce n'est, au début des années 80, une modification du ressort d'appui pour améliorer sa solidité.
Les deux aiguilles sont
reliées par un ressort spiral très fin qui donne au
chronographe son esthétique si particulière.
Une histoire mouvementée
Pour commercialiser son invention Georges Dubey s'associe à un collègue de travail, René Schaldenbrand, et commence une production en petite série. La jeune entreprise n'a pas beaucoup de moyens pour se faire connaître et c'est surtout le bouche-à-oreille qui fait venir à elle une clientèle de connaisseurs. En 1948 une tentative de rapprochement avec le consortium Ébauches SA n'aura pas de suite. Dans les années 50 l'Index-Mobile est également produit sous la marque Edo, et la marque Dubey et Schaldenbrand s'enrichit d'une gamme de chronographes classiques et de montres à remontage manuel ou automatique, gamme qui persistera jusqu'à la fin des années 60.
L'arrivée des mouvements électriques puis électroniques aurait pu être fatale à la petite entreprise mais la connaissance exceptionnelle de Georges Dubey dans la haute horlogerie et les complications lui assure une clientèle de collectionneurs qui viennent chez lui faire réparer leurs tourbillons et autres répétition-minutes. C'est ce qui l'amènera à travailler de temps à autre avec Adolf Benz qui a créé en 1969 la firme Comor pour perpétuer l'art de l'horlogerie mécanique, et qui lui demande à l'occasion de produire quelques Index-Mobiles. En 1982 Georges Dubey, alors âgé de 70 ans, vend son atelier à ses deux collaborateurs Bärtschi et Rosa qui continueront à produire des Index-Mobiles pour Comor. Mais le véritable renouveau viendra en 1995 lorsque la marque sera rachetée par Cinette Robert.
Vue aérienne des Ponts-de-Martel
Peu de femmes se sont aventurées dans
le monde si masculin de la micro-mécanique et de
l'horlogerie de précision. Mais, originaire des Ponts-de-Martel, entre
Le Locle et Neuchâtel, Cinette Robert a baignée
dès son enfance dans l'univers de la montre. En
1965 elle rentre chez Mathey-Tissot qu'elle quittera quinze ans plus
tard après y avoir assuré les postes les plus importants. Cette
solide expérience, doublée d'une passion
pour la belle horlogerie l'amèneront en 1983 à une
collaboration avec Comor et à la production d'Index-Mobiles. À
la mort d'Adolf Benz en 1992 elle assure la continuité
de la marque mais le désir, longtemps mûri,
d'avoir sa propre entreprise l'amène en 1995 à racheter la
marque Dubey et Schaldenbrand et à mettre en place la
fabrication d'une gamme de montres originale dans laquelle
l'Index-Mobile tient une place d'honneur. Le succès
est au rendez-vous et les Index-Mobiles sont aujourd'hui distribués un
peu partout en Europe, aux États-Unis et bientôt
en Asie. Succès qui a dû ravir Georges Dubey
qui, invité par Cinette Robert à la foire de Bâle 1997,
a pu constater à l'âge de 85 ans que son
invention vivait une nouvelle jeunesse...
Où les trouver
Les premiers Index-Mobiles portaient la marque
Edo puis Dubey et Schaldenbrand. Dans les années
70 et 80 certains ont été produits avec les marques Comor et
Berney. Plus récemment des lots de mouvement furent rachetés
par deux grandes marques qui ont édité des
Index-Mobiles en série limitée : Eberhard d'abord qui
en 1986 a produit une série de 100 pièces basées sur le
calibre Landeron et Breitling enfin qui en 1992 a édité
une série de 50 Index-Mobiles en or rose, basés
sur le calibre Venus. Aujourd'hui les Index-Mobiles ne portent plus que la marque
Dubey et Schaldenbrand.
Jubilé
Pour fêter dignement les 50 ans de l'Index-Mobile, Dubey et Schaldenbrand ont produit en 1996 une série limitée de 50 exemplaires en or rose et 100 en acier du célèbre chronographe, muni pour l'occasion d'un calendrier complet : jour, date et mois. L'adjonction de la fonction calendrier est le fait d'une heureuse intuition : les mouvements existaient dans le stock de la Maison mais les poussoirs de réglage des fonctions calendaires que l'on trouve habituellement en périphérie du mouvement étaient là remplacés par de curieux ergots dont personne ne connaissait le fonctionnement. Cinette Robert s'est alors rappelée que quelques années auparavant elle avait vendu à un collectionneur une montre originale dont le réglage du calendrier se faisait par l'intermédiaire d'une lunette tournante. Non sans peine elle réussit à retrouver le collectionneur et la montre, et la solution apparut au grand jour : il s'agissait bien du même mouvement dont on put s'inspirer pour la fabrication des montres du Jubilé.
Chronographe Jubilé. Calendrier complet avec système de correction par lunette tournante.
Calibre Landeron,
fond transparent montrant le mouvement
gravé à la main.
Toutes les illustrations de cet article nous
ont été aimablement fournies par Dubey
& Schaldenbrand
Copyright Joël Pynson, Nov 2000.